“Brous, ink or gouache, what destabilizes the eye is the violence of the hermetic, enigmatic affirmation of these synthetic, abrupt, frontal, vertical forms, contrasting violently with the surrounding white, which they illuminate by exalting it.”
This gouache on paper by Pierre Soulages, dated 1953, seems to fit perfectly with Pierre Encrevé's description of the artist's works on paper. These words underline the crucial importance of paintings on paper in his overall œuvre, but also the exceptional luminosity that their blacks manage to exude.
Indeed, while Soulages often declared that he established no hierarchy between the media and techniques he used, he also made it clear that it was on paper that he found his vocation as a painter. Even as a child, in his room at 4, rue Combarel in Rodez, he used to dip his brush in black ink and run it over white paper. When his sister asked him what he was painting, he replied “snow”, already pointing to the ambition of his future work: to create light from black. In 1946, when he moved to Paris to devote himself definitively to painting, paper once again played a crucial role.
For him, paper is a special place for exercising his creativity, a space of freedom that allows him to make gestures other than on canvas. Working on paper altered his physical posture: it was on this support that, from 1947, Soulages began to paint flat on the ground, a practice he would later adapt to canvas. Painting on paper, where there is no room for reconsideration, is necessarily done quickly and spontaneously. They are born, he declares, “from a kind of impulse towards the original, the elemental”. This freedom undoubtedly appealed to Niomar Moniz Sodré Bittencourt, a great supporter of contemporary artistic creation and campaigner for freedom of expression under the Brazilian dictatorship. A close friend of Pierre Soulages, whom she met on her travels in Europe and the United States, she bought this work directly from him on January 30, 1955 in Paris, barely two years after it was created. She also acquired other works from him, including an important canvas for the Museum of Modern Art in Rio, now mentioned in the catalog raisonné as having been destroyed in the museum fire. One of the paintings in her personal collection was sold at Sotheby's in Paris on December 6, 2016, lot 7.
During the 1950s, Soulages' paintings on paper were closely linked to his experience as a painter on canvas, and were sometimes the starting point for monumental works. In the case of this gouache, however, the opposite is true: it develops preoccupations that existed in his first monumental abstract paintings on canvas as early as 1946. Indeed, in the continuity of canvases with black, gray and brown architectural composition, opposed by a scratched line etched into the color, this gouache presents similar tracings, at once laid down and torn away. Indeed, the tool used to apply the paint appears to be the same as that used to remove it, translating opacity and transparency in the same gesture. In this way, the canvas paintings of 1946 already foreshadowed, in embryonic form, the developments of gouaches such as these.
Indeed, it was his first paintings on paper that brought Soulages international recognition from 1948-1949. Immediately emblematic of his singularity, they are his first masterpieces.
What's more, the period in which this gouache was produced is crucial in the artist's work: of the eighty-seven works on paper he has chosen to exhibit at the Musée de Rodez, Soulages expressly wished to devote three quarters of this collection to works from the years 1946-1956. This distribution highlights the period that has been at the heart of his artistic creation since the beginning of his career: “Everything started from there!”
Like most of his works on paper, this gouache is remarkably luminous. The predominant black that structures and punctuates the work is far from invading the surface, as would happen from 1979 onwards: walnut stain dialogues with it and, through its transparency and brown, ochre or russet nuances, brightens the whole. As Raoul Dufy said to Soulages: “You've understood what oil painting is all about; it's the interplay of opacities and transparencies”. This play of nuances led to his love of washes, which lend themselves particularly well to the appearance of forcible lines. The transparencies obtained by scraping on this work bring out in a different way the intrinsic luminosity of the support and the infinite variations of walnut stain.
The work is also illuminated by the spaces left between the painted surfaces, without ever forming voids. The broad brushstrokes, which are not lines but surfaces, interweave around the light reserves they enclose, making the background of the paper glow.
Beyond the apparent stability and immutability of the composition, structured by form, of which the white of the paper, space and light are an integral part, this work remains profoundly mysterious. These penetrating blacks, these hieratic compositions, these forms without image or language enable Soulages to grasp “what escapes words, what lies in the darkest, most secret part of a painting”.
« Brous, encre ou gouaches, ce qui déstabilise le regard, c’est la violence de l’affirmation hermétique, énigmatique, de ces formes synthétiques, abruptes, frontales, verticales et contrastant violemment avec le blanc alentour, qu’elles illuminent en l’exaltant. »
Cette gouache sur papier de Pierre Soulages, datée de 1953, semble parfaitement correspondre à la description que dresse Pierre Encrevé des œuvres sur papier de l’artiste. Ces mots mettent en évidence l’importance cruciale des peintures sur papier dans l’ensemble de son œuvre, mais également la luminosité exceptionnelle que leurs noirs parviennent à dégager.
En effet, si Soulages déclarait souvent qu’il n’établissait aucune hiérarchie entre les supports et les techniques qu’il utilisait, il précisait aussi que c’était sur le papier qu’il avait trouvé sa vocation de peintre. Dès son enfance, dans sa chambre du 4 de la rue Combarel à Rodez, il avait l’habitude de tremper son pinceau dans de l’encre noire et de le passer sur un papier blanc. Lorsque sa sœur l’interrogea sur ce qu’il peignait, il répondit « la neige », pointant déjà l’ambition de son œuvre future : créer, à partir du noir, de la lumière. En 1946, lorsqu’il se rend à Paris pour se consacrer définitivement à la peinture, le papier joue de nouveau un rôle crucial.
Le papier constitue pour lui un lieu particulier d’exercice de sa créativité, un espace de liberté, lui permettant notamment d’autres gestes que sur la toile. Le travail sur papier modifie sa posture physique : c’est sur ce support qu’à partir de 1947, Soulages commence à peindre au sol, à plat, pratique qu’il adaptera plus tard sur toile. La peinture sur papier, ne permettant pas le repentir, est nécessairement réalisée de manière rapide et spontanée. Elles naissent ainsi, déclare-t-il, « d’une sorte d’élan vers l’originel ; l’élémentaire ». Cette liberté séduit sans doute Niomar Moniz Sodré Bittencourt, grand soutien de la création artistique contemporaine et militante pour la liberté d’expression sous la dictature brésilienne. Proche de Pierre Soulages, qu’elle rencontre lors de ses voyages en Europe et aux Etats-Unis, elle lui achète directement cette œuvre le 30 janvier 1955 à Paris, deux ans à peine après sa réalisation. Elle acquiert également d’autres œuvres auprès de lui, dont une toile importante pour le Musée d’art moderne de Rio, aujourd’hui mentionnée détruite dans le catalogue raisonné, disparue dans l’incendie du musée. Une des toiles de sa collection personnelle a par ailleurs été vendue chez Sotheby’s à Paris le 6 décembre 2016, lot 7.
Durant ces années 1950, les peintures sur papier de Soulages sont très liées à son expérience de peintre sur toile ; elles sont d’ailleurs parfois le point de départ d’œuvres monumentales. Or, pour cette gouache, c’est le contraire : elle développe des préoccupations qui existaient dans ses premières peintures abstraites monumentales sur toile dès 1946. En effet, dans la continuité des toiles à la composition architecturale noire, grise et brune, à laquelle s’opposait une ligne griffée, gravée dans la couleur, cette gouache présente des tracés similaires, à la fois posés et arrachés. L’outil utilisé pour appliquer la peinture semble d’ailleurs être le même que celui qui sert à l’arracher, traduisant, dans le même geste, l’opacité et la transparence. Les peintures sur toile de 1946 préfiguraient ainsi déjà, de manière embryonnaire, les développements des gouaches comme celles-ci.
Ce sont d’ailleurs ses premières peintures sur papier qui ont valu à Soulages, dès 1948-1949, une reconnaissance internationale. Immédiatement emblématiques de sa singularité, elles comptent ses premiers-chefs d’œuvre.
Plus encore, la période de réalisation de cette gouache est cruciale dans l’œuvre de l’artiste : parmi les quatre-vingt-sept œuvres sur papier qu’il a choisi d’exposer au Musée de Rodez, Soulages a expressément souhaité consacrer les trois quart de cette collection à des œuvres des années 1946-1956. Par cette répartition, il met en lumière la période qui a constitué le cœur de sa création artistique depuis le début de sa carrière : « Tout est parti de là ! » déclare-t-il.
A l’image de la plupart de ces œuvres sur papier, cette gouache est remarquablement lumineuse. Le noir prédominant qui structure et rythme l’œuvre est en effet loin d’envahir la surface, comme cela surviendra à partir de 1979 : le brou de noix dialogue avec elle et, par sa transparence et ses nuances brunes, ocres ou rousses, éclaire l’ensemble. Raoul Dufy déclare d’ailleurs à Soulages : « tu as compris ce qu’est la peinture à l’huile ; c’est le jeu des opacités et des transparences. » Ce jeu de nuances l’a conduit à aimer le lavis, qui se prête particulièrement bien à l’apparition de tracés fortuits. Les transparences obtenues par raclage sur cette œuvre permettent de faire ressortir d’une autre manière la luminosité intrinsèque du support et les variations infinies du brou de noix.
L’œuvre est également éclairée par les espaces laissés entre les surfaces peintes, sans jamais former de vides. Les larges traces de pinceau, qui ne sont pas lignes mais surfaces, s’imbriquent en effet autour de ces réserves claires qu’elles enserrent, faisant rayonner le fond du papier.
Au-delà de l’apparente stabilité et immuabilité de la composition, structurée par la forme, dont font partie intégrante le blanc du papier, l’espace et la lumière, cette œuvre demeure profondément mystérieuse. Ces noirs pénétrants, ces compositions hiératiques, ces formes sans image ni langage permettent ainsi à Soulages de saisir « ce qui échappe aux mots, ce qui se trouve au plus obscur, au plus secret d’une peinture ».